Dinner for One? De la bataille électorale…
Dinner for One?
De la bataille électorale, des campagnes électorales et de l’animal politique
Le soleil brille haut dans le ciel, de la sueur perle sur le front. Le vent souffle. On échange quelques regards. Jusqu’à ce que l’un craque et dégaine. Et on répond aux coups.
C’est ce qui est arrivé (au sens figuré, j’entends bien) entre les élections municipales 2017 et les congrès des partis organisés au printemps 2018. Le résultat rappelle alors une partie de paintball : arborer les couleurs, préempter des thèmes, prendre des positions. Salaire minimum, débat sur la croissance, tramway rapide.
Tous ces éléments font bien évidemment partie du jeu politique ordinaire. De 10 partis. Pour 60 sièges parlementaires. Répartis entre quatre circonscriptions. Cela dit, comment va se dérouler la campagne électorale 2018 ? Quels constats pouvons-nous dégager avant même qu’elle n’ait vraiment commencé ? Nous avons interrogé les partis politiques.[1]
À l’ouest, rien de nouveau en matière de campagne électorale
Une chose est sûre : dans les coulisses, la machinerie tourne depuis fort longtemps. Car, selon (presque) tous les partis, les préparatifs ont été lancés dans la foulée des élections municipales de l’automne 2017. Cet allongement de la période de préparation constitue également une grande différence par rapport aux dernières élections de 2013, où les partis avaient disposé d’à peine trois mois seulement. Mais pour les petits partis, un étirement de la campagne électorale peut rapidement devenir un inconvénient, car il entraîne également une hausse des coûts.
Indépendamment des fonds disponibles et de l’organisation de chacun, la campagne électorale englobe plusieurs éléments clés nécessaires à la mobilisation des membres du parti et des électeurs. Ces éléments sont complémentaires ou se combinent, et englobent participation, consultation, information et communication :
- composition d’une équipe de campagne ;
- élaboration des listes électorales par les commissions électorales et les congrès de circonscription ;
- désignation des têtes de liste par les congrès nationaux, une étape qui fait toujours l’objet d’une large mise en scène et qui marque le lancement de la campagne électorale ;[2]
- élaboration d’un programme électoral par des groupes de travail et des organes du parti afin de définir clairement les chevaux de bataille du parti et des candidats ;
- préparation des candidats à leurs missions : défendre des idées, prononcer des allocutions, se mêler à la foule, communiquer ; et
- planification d’une campagne de communication. Le recours aux services d’une agence de communication reste réservé aux grands partis, les plus petits ne disposant pas des ressources financières nécessaires.
L’importance de l’expérience et de la parfaite connaissance des dossiers politiques est souvent mise en avant. Et il est évident que cette expérience est l’apanage des centres névralgiques des partis historiques, à savoir les secrétariats généraux et les groupes parlementaires. Au sommet des nouveaux partis et des petits partis, on a pourtant une idée précise du déroulement de la campagne électorale et de tout ce qui s’y rapporte. Mais aussi de ce que cela coûte : un travail de longue haleine, de l’organisation et de la communication.
Qu’en est-il à présent du côté des électeurs ? Comment les partis espèrent-ils obtenir un maximum de voix des électeurs volants ?
Digital, social … banal ?
Compte tenu de l’importance des différents médias pour leurs relations publiques, les partis accordent à l’unanimité un rôle de plus en plus central aux médias digitaux et sociaux. Qu’est-ce que cela implique pour la campagne électorale ?
Plus digitale ?
2018 sera-t-elle donc l’année d’ouverture au grand des fenêtres (et des portes) média-politiques ? Quand bien même la presse écrite, la radio et la télévision prennent (risquent de prendre) du retard, ces médias demeureront d’une importance primordiale.[3]Les interviews, les annonces pleine page, les tables rondes et les confrontations demeurent des outils essentiels de profilage. Ils sont si capitaux que l’exclusion des petits partis fait régulièrement l’objet de vifs débats, de même que le rôle des « journaux de parti », ce que l’on appelle la « presse amie ».
Cette inégalité est résorbée en partie du fait de la fragmentation des médias et de la digitalisation de la campagne électorale. La faiblesse des coûts de la communication digitale (et de la publicité) offre aux petits partis la possibilité d’atteindre un grand nombre d’électeurs potentiels avec des ressources moindres, tandis que la flexibilité et les opportunités d’interaction bénéficient à l’ensemble des partis.
Facebook demeure la plateforme préférée des Luxembourgeois.[4]En ce qui concerne leurs « communautés de fans » sur ce réseau, le CSV (environ 6 600 Likes), déi gréng (5 600), le DP (3 400) et le LSAP (2 800) représentent entre 1 et 2,2 % des électeurs. Un chiffre non négligeable.[5]Si l’on étudie de plus près ces pages FB sur les derniers mois, on notera la présence de contenus très variés, de nature principalement documentaire : préparations des campagnes électorales, congrès et conventions nationaux, tandis que le discours sur la situation de la nation a été l’occasion de mettre en avant les accomplissements ou de souligner les retards.
Sur le service de messagerie Twitter, moins populaire, le nombre des « followers » indique que c’est à peu près la même « communauté » de personnalités du monde de la politique et de l’économie qui est intéressée.[6]Chose étrange, Instagram, qui rencontre une popularité croissante auprès de la population, ne constitue pas encore un réel vecteur de communication pour les partis politiques luxembourgeois.
Plus sociale ?
Depuis Max Weber, l’importance du charisme dans la politique est bien connue. De nos jours, les médias digitaux offrent des opportunités sans précédent de mise en scène de la proximité et de l’accessibilité, sans dépendre des journalistes, des groupes de médias et de leurs filtres.[7]Et la plupart des partis encouragent leurs candidats à gagner la confiance du citoyen par ce biais. Chaque parti offre en interne une large gamme de services, qui va d’une aide technique à des sessions de formation, en passant par de la documentation. Il demeure primordial pour les partis que leurs valeurs et le contenu des programmes fassent l’objet d’une communication efficace.
Intéressons-nous de plus près aux cybersympathisants des principaux hommes politiques luxembourgeois, lesquels se démarquent clairement de leurs partis. Sur Facebook, le premier ministre Bettel est en tête, avec près de 40 000 fans. Viviane Reding arrive en deuxième place avec 10 000 partisans.[8]Vient ensuite Étienne Schneider, avec 6 700 partisans, suivi de François Bausch (5 100), Felix Braz (3700), Francine Closener (2 600) et Claude Wiseler (1 700).[9]De même, sur Twitter et Instagram, la présence individuelle est plus forte que celle des partis.
En ce qui concerne le contenu, il est intéressant, dans le cadre de la campagne, de s’attarder sur les favoris que sont Xavier Bettel et Claude Wiseler. Les vidéos « Better Call Bettel », qui sont construites sur la proximité incontestée du premier ministre, sont d’une certaine façon une suite logique de sa communication personnelle. De même, Claude Wiseler se présente comme l’homme du centre, selon une approche de plus en plus professionnelle, entre missions législatives et style de vie : on peut le voir pratiquant du sport, en promenade ou discussion avec d’autres hommes politiques de premier plan. Du « personal branding » tout simplement.
Plus banale, plus émotionnelle ?
S’agissant de la communication des messages politiques, nous sommes ici à l’opposé de l’idéal théorique de l’échange rationnel d’arguments, comme l’a décrit par exemple Jürgen Habermas.[10]Quelles sont les conséquences d’une communication banalisée et émotionnelle sur le contenu politique ?
Avant toute chose, il est dans la nature des médias sociaux qu’ils brouillent les frontières entre contenus journalistique, social, de divertissement et publicitaire. Les « comedy-shows » américains en sont un parfait exemple, car ils occupent une place de plus en plus prépondérante dans la couverture médiatique politique. Mais la culture du débat politique n’est pas non plus particulièrement ancrée au Luxembourg. Que nous apprend à cet égard le fait que le CSV, plus important parti luxembourgeois par le nombre de ses membres, a révélé le premier ses listes de candidats sur le Net au début du mois d’avril, alors qu’il ne divulguera son programme électoral qu’à la « rentrée » ?[11]
D’un point de vue négatif, les nouveaux médias et la quantité infinie d’informations atteignent un nombre seulement limité de citoyens, tandis que leur attention disponible ne cesse de diminuer.[12]La transition numérique va difficilement de pair avec un échange de réflexions. Les réseaux sociaux sont dominés par le facteur divertissement. Rappelons-nous le « Ice-Bucket Challenge ». Indignez-vous ! La dissolution de leur environnement social historique n’aide pas les partis à adopter une nouvelle position face à l’électorat. La personnalisation de la politique reflète ainsi le goût des Luxembourgeois pour le panachage.
D’un point de vue positif, les attentes en ce qui concerne le transfert d’opinions et le règlement des divergences d’opinion évoluent peu. À l’époque du « targeting » et des « sponsored posts », il semble irréel de vouloir développer un programme électoral principalement à travers une campagne électorale et un slogan, sans investir tout autant dans des campagnes digitales. Grâce aux « push-notifications » et aux « instant-messaging », la démocratie devient plus directe, bien que ce ne fût pas l’intention première, alors que les institutions tardent à s’adapter.[13]Le récent profil Whatsapp du DP en est un parfait exemple. Quels seront les bénéfices ?
Dinner for One?
D’une part, une certaine prévisibilité est de mise s’agissant de l’année électorale. Le pendule revient, c’est la mécanique politique. D’autre part, l’inverse est vrai. La perception des succès et des échecs, des performances et des erreurs, peut également être déterminante : la symbolique politique. On attend avec impatience de voir ce que nous réserve la campagne électorale au cours des prochains mois.
La comparaison avec le sketch « Dinner for One » est intéressante. Les élections sont un rituel répété – plat après plat, élection après élection. La vieille dame Démocratie invite à souper. La volonté populaire sert (ou est servie). Les partis jouent leur rôle. À chaque tour, les voix montent d’un cran. Mais la vraie question qui se pose est pourtant : que font véritablement James et Miss Sophie ensuite ?
Publié dans le forum numéro 385 “Wir haben die Wahl” de juin 2018.
[1]Le CSV, le LSAP, le DP, Déi Gréng, Déi Lénk, l’ADR, le KPL, le Parti pirate, le PiD, déi Konservativ et le FÖDP ont été contactés. Même si ces partis ont préféré, bien évidemment, s’exprimer avec une très grande prudence sur leurs campagnes électorales, nous avons obtenu de nombreuses réponses utiles. Un grand merci !
[2]Voir par ex. la transformation de la convention nationale du CSV, ainsi que le congrès national du DP, dans Live-Shows.
[3]À l’instar de l’étude annuelle TNS ILRES PLURIMEDIA, la baisse continue des recettes publicitaires de ces médias souligne une pertinence décroisssante.
[4]Source : STATEC, « Enquête sur l’utilisation des TIC dans les ménages et par les particuliers 2014 ».
[5]À titre de comparaison : en Allemagne, la CDU et le SPD atteignent tous deux environ 0,4 %. Tous les chiffres datent du début du mois d’avril de cette année. L’électorat est considéré représenter environ la moitié de la population.
[6]Ces communautés comptent en majorité entre 2 200 et 2 600 followers, à l’exception du Parti pirate qui en compte 3 300. Si tant est que ce « followership » fait office de ce que l’on appelle une « caisse de résonance », à savoir un système relativement fermé qui conforte les membres dans leurs convictions par la répétition, au lieu de promouvoir une confrontation des idées, il conviendrait d’entreprendre un travail plus approfondi.
[7]Voir le concept de « domination charismatique » de Max Weber. Depuis la campagne présidentielle de 2008 de Barack Obama, qui a ouvert la voie, nous avons réalisé que les médias sociaux peuvent être un formidable outil de mobilisation politique.
[8]Il ne fait aucun doute que Viviane Reding doit en grande partie ses nombres de cybersympathisants à sa carrière en tant que commissaire de l’Union européenne.
[9]Ces chiffres datent également du début du mois d’avril de cette année.
[10]Pour en savoir plus, lire la « Théorie de l’agir communicationnel » de Jürgen Habermas.
[11]À l’inverse, le KPL a été le premier parti à publier son programme pour les élections.
[12]Entre-temps, des « théories relatives à l’attention » ont vu le jour.
[13]Le succès des pétitions en ligne a également témoigné ces dernières années d’un besoin croissant de participation. De plus, la fondation de deux nouveaux partis, à savoir le parti « déi Konservativ » et le parti « Fräi Ökologesch Demokratesch Partei », comme un défi à l’ADR et plus particulièrement au « déi gréng », peut également être interprétée comme le résultat d’un défaut de représentativité et de participation au sein du système politique.